Introduction

Une fois j'ai reçu ce message d'une enseignante du bouddhisme zen rinzaï. Elle me parlait d'elle. À force de le lire, il est affiché bien en vue dans un endroit de la maison, je l'ai fait mien. Dans ce blog je vais raconter des histoires qui montrent cette rencontre du bouddhisme avec les gens que je fréquente dans mon travail et dans ma vie quotidienne. Quand on pratique le zen, pour comprendre, on se sert souvent de petites histoires des temps anciens, qui se passent en Chine ou au Japon. Dans cet espace, je me propose d'écrire des anecdotes très actuelles, vécues par un bouddhiste zen engagé dans la vie quotidienne.

Mon crâne rasé expose l’ossature du visage et ma fragilité
dans cette mise à nu.
Pourtant peu savent lire
ce livre ouvert de ma chair,
moins encore suivre les signes de ma Route,
toute en conduite solitaire, toute en communion
avec d’autres tracés.


Rei Myò Sensei
Août 1997

dimanche 12 février 2012

Rendre malade

Il y a quelque temps une réunion très pénible a eu lieu, je prenais les notes. La personne qui dirigeait était si agressive et ignoble, que durant le trajet du retour, seul dans ma voiture, j'ai crié tout fort que je voulais voir cette femme gravement malade, tellement ce n'était pas permis d'être aussi agressif et méprisant avec des êtres humains.
Il y a peu j'ai appris que cette personne n'était plus dans ses fonctions, en arrêt à cause d'une maladie grave.
J'ai été très choqué et effrayé, me rappelant mes injonctions faites durant le trajet du retour. Pourtant je sais très bien que personne n'a le pouvoir de faire en sorte que le malheur tombe sur quelqu'un d'autre. Croire que quelqu'un puisse porter malheur à quelqu'un d'autre, rien qu'en le souhaitant, cela ne marche pas. Mais croire l'inverse ne suffit pas, ça ne marche pas non plus.
Pour aller plus loin, encore une fois, il faut aller au-delà. Souvent pendant le zazen, on perçoit nettement la "non dualité", il n'y a plus "nous" et les autres, il n'y a plus "nous" dans un lieu, on est simplement les autres et le lieu, avec parfois, de temps à autre, un petit quelque chose qui se révolte sous forme d'une idée qui passe et qui dit "je suis moi et je suis là". Très vite l'interconnexion réelle que nous avons avec le monde s'impose alors avec une évidence fulgurante dans notre présent. Tout d'abord avec ce qui est là dans le même mètre carré que de nous, puis de loin en loin avec tout le département, tout le pays, tous les pays et avec l'univers tout entier. Les connections sont infinies, et maintenant en y réfléchissant, je peux imaginer des trajets allant d'une connexion à l'autre, avec un but, exactement comme quand on saute de pierre en pierre dans le lit d'un torrent dont on se sert de chemin pour aller quelque part. Des choses avancent se frayant un passage parmi tous ces jalons, en commençant par l'oxygène que je respire qu'exhalent les érables à deux mètres de moi, et que respire aussi l'insecte rouge et jaune qui vient de se poser au bord du zafu. Où vont toutes ces choses qui me traversent et auxquelles je participe, jusqu'où vont-elles ? Et comment ? Ça je ne le sais pas. Et pourtant ces trajets existent, et ils me relient à chaque chose par lesquels ils passent. À partir de là j'ai la vision que l'univers est un grand corps, à l'image de mon propre corps. Il me revient aussi en mémoire que je peux me rendre malade, et que je peux aussi me guérir. Le Bouddha enseigne la guérison.  C'est le sens du soutra du matin : "aussi innombrables que soient les êtres vivants, je fais vœux de les sauver tous", de les guérir tous et pas de les rendre malade. Comme ça, ça marche.

lundi 24 octobre 2011

La réincarnation

Parfois ils me posent des questions, je tiens toujours à répondre après le cours, pas pendant.
Cette fois c'était "Monsieur, croyez-vous à la réincarnation ?" Une question que je me pose parfois moi-même. Cette fois encore la réponse "oui" ne marche pas, pas plus que la réponse "non" ne marche d'ailleurs. Je sais pourtant la réponse, mais elle est sans mot, elle est faite d'expérience, de compréhension directe, sans concept ni mot pour expliquer.
J'ai essayé de leur répondre tout de même, parce que  sans mot, sans "oui", sans "non", sans croquis au tableau, les élèves ne comprennent pas.
Je leur ai d'abord demandé qu'est-ce qui doit être réincarné ? Votre corps ? Votre esprit ? Ils sont tombés d'accord pour dire que leur esprit suffisait, peu importe si le corps était différent. L'idée était de revenir en se souvenant que l'on avait déjà été. Je leur ai fait la remarque que s'ils revenaient dans un corps de mouche en se souvenant qu'ils avaient été élèves de mon cours de sérigraphie et de tout le reste, cela ne serait pas très rigolo.
Je leur ai ensuite demandé : qu'est-ce que "l'on est" en fait ? De quoi est-on fait ? Je leur ai montré la pomme que je me réservais pour midi et je leur ai dit : vous êtes d'accord, il y a la pomme et il y a vous. Ce sont deux choses distinctes. Maintenant imaginons que vous mangiez cette pomme, à quel moment la pomme cessera d'être pomme et deviendra vous ? Imaginez la pomme en morceau en vous, écrasée, se mélangeant en vous avec d'autres choses, les molécules de pommes allant un peu partout dans votre corps, à quel moment la pomme n'est plus pomme et à quel moment elle est vous. Imaginez ce que vous avez mangé avant, imaginez l'air qui entre en vous, imaginez l'eau qui vous constitue, imaginez les bactéries et les champignons qui vivent en symbiose avec vous. Après tout ça que reste t-il de vous ? Quelqu'un a répondu, "il reste l'âme" et " je sais qui je suis".
Donc il reste de nous une "idée". Une idée qui dit "je suis une idée qui comprend que je suis au centre de l'interaction d'une multitude de choses elles-mêmes en interaction avec d'autres choses, et ainsi de suite".
Je leur ai dit ensuite nous ne venons pas au monde à partir de rien. Nous sommes la conséquence de la rencontre de deux personnes. Ces deux personnes, nos parents, sont eux aussi chacun issus de la rencontre de deux personnes, et ainsi de suite. Toutes ces personnes ont  posé des actes durant leur vie, qui ont eu des conséquences. Nous sommes nous mêmes toutes les conséquences de ces actes passés.
Quand je "pense" à la réincarnation, j'ai tout cela en mémoire. "C'est oui" ça ne marche pas, "c'est non" ça ne marche pas, "c'est" tout simplement, ça marche. Si vous pensez à cela avec des théories, des phrases, des mots, des polémiques, des preuves, jamais rien ne sera clair, chaque fois ce sera une impasse. Si vous faites zazen, parfois vous verrez que tout s'éclaire. Alors, tout ce que je viens de décrire est là, avec une présence bien dérangeante quand on doit tenter de l'expliquer.

samedi 16 avril 2011

Ça marche, ça ne marche pas.

Ça marche, ça ne marche pas. Il y a toujours cette expression qui revient dans chaque article. Elle résume vraiment pour moi le repère pour la conduite que l'on doit avoir dans la vie quotidienne.
Comment dire, comment expliquer ça ? Je t'ai dit, "ta manière de gérer le problème ne marche pas".  "Ça marche" quand il n'y a pas de trace. Si tu ne te sens pas bien pendant le règlement du problème, si tu n'es pas à l'aise après, c'est là que je dis ça ne marche pas. C'est dans une parfaite tranquillité que tu dois faire face à l'adversité. La parole dite ne dois pas avoir d'écho, elle ne doit pas non plus résonner. La parole qui blesse a un écho et résonne. Elle est comme une bouteille de poison que tu ouvres et qui imprègne la pièce où tu te trouves aussi. Ne pas laisser de trace ce n'est pas quand rien ne change, ce n'est pas quand rien n'est réglé, car là ça ne marche pas non plus. Qu'est-ce que c'est alors de ne pas laisser de trace tout en réglant le problème ?
Il faut revenir sur la rencontre, car les problèmes viennent souvent après les rencontres. Un nouveau collègue de travail entre en scène et la donne est changé, il faut faire avec. On ne va pas se plier à la volonté, aux manières de l'autre, de même l'autre ne va pas entrer dans le moule que l'on aura réussi à lui imposer ou qui est déjà là.  Il faut accepter que la rencontre implique que rien n'est plus comme avant. Cela n'est pas une idée qui se discute, c'est exactement comme quand on met du sel dans de l'eau, l'eau est salée, c'est tout. À ce moment là, si on pense "l'eau n'est pas salé", ça ne marche pas. Et il faut être persuadé que ces nouveaux ailleurs sont toujours mieux que les avants qui ne bougeraient pas malgré la nouvelle donne.
Ne pas s'accrocher à des idées que l'on croit être sienne. Changer ses habitudes. Accepter le changement. Se remettre en cause. Bien comprendre que l'on n'est qu'un moment de quelque chose en perpétuel changement, et pas une chose fixe comme le nom que l'on porte ou les idées que l'on a de soi.  
Pour en arriver là, il n'y a qu'une chose à faire, s'asseoir en zazen et jours après jour découvrir la chose la plus sublime et la plus décapante qui soit, découvrir que l'on n'est qu'un moment de quelque chose en perpétuel changement.

samedi 30 octobre 2010

Patience, patience, encore.

Savoir attendre, c'est possible. Quand je suis en train de faire zazen et que j'ai une démangeaison sur le visage, je ne fais rien. En dehors de ce contexte, quand j'ai une démangeaison sur le visage, je me frotte avec une main. Si je me gratte je suis soulagé, je suis intervenu, j'ai fait quelque chose mais ça ne marche pas. Pendant le zazen si je ne me gratte pas, quelques secondes après il n'y a plus de démangeaison. Tout le monde te le dira. Tu peux en faire toi-même l'expérience immédiatement. Ne rien faire et le problème disparaît de lui-même, ou au pire la situation n'empire pas.
L'essentiel étant de ne pas déclencher la réaction en chaîne qui conduit à la violence. La violence, cette situation où l'on n'entend plus rien, ni soi même, ni l'autre, complètement fermé, citoyen d'un monde étriqué.

vendredi 24 septembre 2010

Patience, patience...

Régler le problème tout de suite, voilà comment continuer la réaction en chaîne de la violence. L'attitude opposée est bien de savoir attendre. Apprendre à attendre. Savoir attendre, patiemment. Dans notre culture, la patience est mal vue, le proverbe
"La patience est la vertu des ânes",   c'est-à-dire c'est une sottise de supporter ce qu'on peut ne pas endurer, résume bien l'état d'esprit dans lequel, au fond, nous avons été élevé.
Quand tu es agressé, tu es mal à l'aise, le sentiment que tu subis une injustice te submerge, tu te sens humiliée, la souffrance que tu ressens est intolérable, tu veux que ça cesse, alors tu réagis. Tu tentes de régler le problème tout de suite. Tu es agressive en retour, tu tentes d'humilier la personne, parfois tu insultes, tu dis plusieurs méchancetés, etc. Cela ne marche pas. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. En plus de souffrir de l'agression de l'autre, tu souffres d'avoir toi-même agressé en retour. Tu souffres d'avoir été comme l'autre dont tu détestes les manières et la manière d'être. Dans la classe, j’ai simplement écrit sur le mur “pas comme eux”, pas comme lui doit être toujours et partout ta devise.
L'agression a pris de l'ampleur par ta riposte. La haine que tu cultives en toi de cette façon agit sur ton cœur comme un poison.
Ne pas régler le problème tout de suite n'est pas ne pas régler le problème.
Ne pas régler le problème tout de suite c'est commencer à régler le problème, c'est avoir une chance de le régler un jour. Laisser faire, laisser passer.
La tradition le dit bien : “quand je suis perdu et que je ne sais plus que faire ni où aller, je m'assois en zazen”. Plus récemment d’autres l’ont aussi remarqué, je pense à un livre d’Henri Miller que j’ai relu, il y a peu, pour une situation similaire il conclut “le mieux c'est de ne rien faire du tout”.

mercredi 4 août 2010

Merci et merci

Vers le 10 juin, j'ai commencé la classe en parlant du mot merci aux élèves qui sont arrivés en premier.  Je leur ai dit : "vous avez remarqué que quand on rend un grand service à quelqu'un, un service du genre de celui qui nous donne une journée de travail, en retour, cette personne vous fait dire merci". "Et avez-vous remarqué que quand on donne quarante centimes de monnaie à quelqu'un pour qu'il ait de quoi se prendre un café au distributeur, en retour, on obtient le même merci". Le même mot pour deux choses complètement disproportionnées.
Vous allez voir qu'il n'est pas ici question de jugement, il n'y a pas une bonne façon d'utiliser merci et il n'y a pas une mauvaise façon d'utiliser merci, mais il y a des mercis qui marchent et des mercis qui ne marchent pas.
Vous avez compris le merci qui me choque c'est le merci reçu en paiement de la journée de lundi passée à imprimer les 100 tee-shirts. Ce merci-là ne marche pas. Je ne veux pas dire que cette personne aurait dû me contacter directement plutôt que de me faire dire merci par un intermédiaire. Je n'attendais pas non plus un grand merci ou merci beaucoup ou encore merci infiniment. Non, ce n'est pas ça.
Bien sûr au départ j'étais d'accord pour faire ce travail sans le faire payer. Là n'est pas la question. À l'issue de ce travail, je n'attendais pas de salaire, sous aucune forme que ce soit, surtout pas sous la forme du mot merci.
Ce mot merci, je le reçois comme un quitus que m'impose cette personne. Rappelez-vous ce que nous avons dit l'autre jour à propos du donner et recevoir. Nous avons là l'exemple d'un tout petit acte, égoïste et limité. Cette personne me fait dire merci comme si elle m'envoyait un chèque, un moyen pour elle de ne plus se sentir redevable et de continuer sa danse égoïste.
L'acte juste aurait été de ne rien dire, pour que notre travail de lundi s'insère dans quelque chose de beaucoup plus vaste. Ou alors, si cette personne voulait vraiment faire quelque chose, il fallait qu'elle vienne ou qu'elle nous écrive pour se présenter et nous présenter son projet, ce qui aurait placé notre travail dans une chaîne généreuse, et pas dans une suite d'événements mercantiles ou l'on profite de nous.
Je pense qu'il y a des demandes qui ne sont pas justes, et celle-là en fait partie. Quelqu'un qui a plein d'argent dans sa poche et qui me demande quarante centimes pour un café ne fait pas une demande juste.
Merci n'est pas un paiement, pas une récompense, c'est une attitude, une disposition qui vient du cœur.

mercredi 21 juillet 2010

Bzzzzz zen

Fin juin, c'est le moment où je fais de la confiture de cerises. Pour 3 kg de fruits dénoyautés, je rajoute 1,5 kg de sucre. Je ne mets pas tout de suite la marmite sur le feu. Je laisse reposer les cerises et le sucre pendant quelques heures au soleil, un couvercle sur la marmite. Après ce temps de macération, je mets la marmite à confiture sur un feu vif, le petit séjour à couvert au soleil a fait rendre de l'eau aux cerises, donc aucun risque que ça brûle pour le moment.
Une fois que la confiture bout à gros bouillons, je réduis la flamme et j'attends 3 minutes pour arrêter le feu. Je profite de ce temps pour enlever l'écume rose qui se forme sur le mélange.
Hors du feu, je remue de temps en temps. Il faudra près de 4 heures pour que la confiture revienne à la température ambiante. Pendant ces 4 heures, la confiture continue de cuire en douceur, sans aucun risque de brûler.
Ensuite, chaque jour je porte la confiture à ébullition pendant 3 minutes, et je la laisse cuire en refroidissant lentement. Je fais cela 7 ou 8 fois, et la confiture est prête. Le mélange du départ a diminué de moitié.
Un ami qui m'a vu faire, m'a fait la remarque que je remuais la confiture bizarrement. En effet je bougeais la cuillère en bois dans la confiture en suivant le trajet d'une des danses que font les abeilles pour indiquer à l'ensemble des butineuses où se trouve un champ de fleurs.
Me connaissant, mon ami a tout de suite pensé à un truc de bouddhiste pour réussir la confiture. Une sorte de rite transmis de maître à disciple depuis des générations et dont je me retrouvais le dépositaire.
J'aurai pu lui dire oui c'est un truc bouddhiste pour réussir les confitures !, mais ça aurait été mentir, ou bien lui dire non ce n'est pas ça ! mais cela aurait été me mentir à moi-même.
Pour réponse, je lui ai simplement fait un sourire.

Plus tard j'ai dû lui ré-expliquer, avec des mots, comme un philosophe.
Sur les rites : suivre ou se créer un rite à un moment donné pour ne rien mettre de soi, de son ego, de sa décision dans un acte.
Ici, je ne fais pas de la confiture lui ai-je dit, la confiture se fait.
Je lui ai aussi expliqué le brin d'herbe que l'on trace 1000 fois sur la feuille jusqu'à ce que l'on ait l'impression qu'il vient de pousser sur la feuille, tellement on s'est oublié dans cet acte, tellement on a disparu en ne cherchant pas à faire quelque chose, un brin d'herbe par exemple, ou de la confiture de cerises. Un brin d'herbe qu'on ne cherche pas à faire beau, bon, joli, esthétique, juste un brin d'herbe qui est. Le rite aide à s'oublier.
Mais après tout, devançant ses objections je lui ai dit pourquoi n'y aurait-il pas la confiture de cerises de Serge, quel mal y a-t il à cela ? Aucun bien sûr, seulement, dire cela, c'est faux, ça ne marche pas, dans cette confiture il y a l'univers entier, il y a les personnes qui ont ramassé les cerises, les personnes qui ont planté et cultivé les cerisiers, l'eau et le soleil qui les ont fait pousser, il y a le pain qui a nourri tous ces gens. J'ai arrêté, j’aurais pu continuer de la même manière sur le sucre, la cuillère en bois et sur la casserole et lui parler de l'interdépendance des choses qui nous empêche définitivement de dire je, mais il avait compris.
Je lui ai donné à lire le texte de Thich Nhat Hanh qui s'appelle entre-exister.

 Danse des abeilles.